De par ma profession d’enseignant/formateur, je côtoie depuis de nombreuses années, de nombreux professionnels dans les milieux de la création graphique. Ces derniers mois, je constate sans réelle surprise, un certain mécontentement à l’égard de la société Adobe. Pour quelles raisons ? Essayons d’en comprendre les raisons.
Il est un fait que tout le monde reconnaitra volontiers, Adobe est une société qui communique beaucoup, mais principalement sur ses nouveaux logiciels et nouvelles technologies, mais pas vraiment sur sa stratégie à moyen terme. Pourquoi est-il si difficile de savoir ce qu’il adviendra de certains logiciels d’ici 2 à 3 ans ?
«Il est difficile de savoir comment se comportera le marché» me direz-vous, seuls les clients adhèrent/adoptent (à) un nouveau logiciel/environnement. Et bien c’est sur ce dernier point que je ne suis pas tout à fait d’accord. Dans un marché ouvert, où il y a une réelle concurrence, les vendeurs doivent faire face à la stratégie des concurrents. Mais existe-t-il une concurrence face à Adobe ? Sur certains secteurs d’activités, des solutions et logiciels existent, mais qui peut parler aujourd’hui de réels concurrents de Photoshop, Illustrator, etc ? Bien sûr, Quark XPress, Affinity Photo et Designer, Tumult Hype, et tant d’autres constituent de réelles alternatives, mais le rouleau compresseur Adobe s’est imposé et s’impose avec le temps.
À l’origine, l’éditeur de logiciels avait une politique et une stratégie qui s’inscrivait dans un contexte économique « de l’époque ». Un vendeur (éditeur de logiciel) et des acheteurs. Aujourd’hui, les multinationales essayent de fidéliser, capter, enfermer l’utilisateur. D’ailleurs, on ne parle plus d’utilisateurs, mais plutôt de clients/customers. Pour mieux les retenir, on copie les recettes qui existent et ont déjà fait leurs preuves : on ne propose plus que de la location de logiciels. Il n’est plus question d’acheter un logiciel qu’on garde plusieurs années, on est obligé de payer tous les ans ou tous les mois, sinon, on perd le droit d’utilisation de son outil de production ; cette pratique est discutable. « Oui, mais les logiciels évoluent, et il faut pouvoir utiliser des logiciels avec des nouveautés ! » «Des nouveautés» avez-vous dit ? Parmi les quelques nouveautés, proposer un système de bibliothèque partagée inter-logiciels, est-ce une méthode pour optimiser ses flux de production (oui certainement) ou un moyen de rendre les logiciels encore plus interdépendants et rendre l’utilisateur encore plus dépendant des solutions logicielles proposées par la société Adobe ? Les nouveautés créaient le besoin ! Oui, il faut bien vendre des logiciels pour payer des développeurs (je ne m’étendrais pas sur ce sujet), il faut de la nouveauté pour faire face à la concurrence (lorsqu’elle existe), mais lorsqu’un outil est adapté à des besoins existants, est-il vraiment nécessaire de proposer une nouvelle version tous les ans ? Est-ce que tous les 2 ou 3 ans ne suffiraient pas ? Ce serait peut-être une solution pour proposer de réelles nouveautés. À l’époque où les logiciels sortaient tous les 18 mois, on pouvait vraiment parler de « nouveautés ». Aujourd’hui, tous les 6 mois, une fonction gadget est annoncé avec parfois une réelle nouveauté.
Revenons sur la genèse de cet article, la durée de vie des logiciels. Il est vrai qu’une société privée est libre de diriger son activité comme elle le souhaite, elle peut donc changer de stratégie à n’importe quel moment… mais ne devrait elle pas avoir plus de considération pour ses clients qui lui font confiance depui sde nombreuses années ? Souvenez-vous, en 1996, la société Macromedia (anciennement Macromind) rachète le logiciel FutureSplash et le rebaptise Flash. En 2005 la société Adobe «absorbe» Macromedia et c’est à cette époque que le nettoyage commence ! Souvenez-vous, Freehand, Director, Golive, ImageReady, Fireworks, nous pourrions ainsi continuer la liste des logiciels et technologies abandonnés, mais des premières critiques pourraient alors venir contredire mon article. Entendons-nous bien, je ne fais pas un procès à Adobe sur ses choix stratégiques, les logiciels évoluent, car les technologies évoluent, il est donc difficile de maintenir certains logiciels qui sont dépassés, mais c’est dans la manière de faire que la méthode est discutable.
En 2007-2008, lorsqu’Apple décide de ne pas supporter la technologie Flash sur iOS, tout le monde le sait aujourd’hui, ce n’était pas pour une histoire de performances sur l’iPhone (quelques mois plus tard, l’optimisation était disponible), mais bel et bien pour une raison stratégique. En retirant le support du format SWF, Apple s’assurait un bel avenir avec son store, on le constate d’ailleurs aujourd’hui. Je dois reconnaitre qu’à cette époque (2008-20011), je n’aurais pas voulu être à la place des personnes responsables des décisions stratégiques chez Adobe, mais tout de même ! Certes, il y a bien un capitaine de navire à bord de la société Adobe, il y a également des équipes dirigées par des responsables, mais dans ce cas, je m’interroge aujourd’hui pourquoi il a été décidé d’abandonner Flash ? Pourquoi la plus grosse «nouveauté» annoncée dans Animate CC aujourd’hui, et qui existait déjà il y a plusieurs années (à savoir l’export/la publication au format HTML) n’a pas fait davantage l’objet d’une grande promotion au bon moment ? Adobe est pourtant fort pour ça ? Il est vrai que Flash avait une «telle image», «celle d’un logiciel qui ne génère que du swf», qu’il était difficile de changer les esprits des créatifs, des leaders dans les agences digitales, des annonceurs, des clients, etc ! Dans ce cas, pourquoi Adobe change de stratégie aujourd’hui ? Est-ce que la société va réussir à imposer son logiciel d’animation HTML ? Surtout, est-ce que les utilisateurs feront la différence entre les différentes formes d’animation en HTML ? Que va devenir Edge Animate ? Est-il judicieux d’investir du temps sur un logiciel proposé par Adobe ? Ne risque-t-on pas de se retrouver avec des projets pour lesquels la technologie va être abandonnée ? De nombreux créatifs en ont trop souvent fait les frais ces dernières années et commencent à se méfier. Certains cherchent des alternatives aux solutions d’Adobe qui restent les meilleurs du marché. IBM, Microsoft, Apple et tant d’autres sociétés ont été leader sur certains marchés à certaines époques, mais en informatique, nous le savons tous, les choses peuvent changer en quelques années. Les utilisateurs, et non les clients, ne sont pas toujours des moutons !
Épilogue : les flashers des années 2000-2012 sont partis, il est normal qu’ils soient passés à autre chose (en plus, ils n’avaient plus le choix ; Apple s’est imposé, mais Adobe a baissé les bras en changeant de stratégie). Dans ce cas, est-ce que certains vont revenir sur Animate CC ? Est-ce qu’un changement de nom suffira pour faire passer la pilule ? Seuls les mois à venir nous le diront. Pour ma part, je n’ai jamais arrêté de développer en AS3, je continue d’utiliser Flash depuis 1997, j’utiliserai donc Animate CC, mais serons-nous nombreux à l’utiliser ?
Je souhaite bon courage à Adobe pour imposer Animate CC à ses clients, oups, je voulais parler de ses utilisateurs.
David